L'appel du pouvoir

C'était une matinée d'hiver à Geffen. Les marchands hurlaient à pleins poumons dans le froid ; ils étaient pressés d'aller s'asseoir à l'auberge pour verser dans leurs ventres un alcool sucré qui réchaufferait leurs entrailles. Chacun se hatait de faire ce qu'il devait pour retourner vite au chaud. Et le propriétaire du Peco Fringuant était satisfait, beaucoup poussaient déjà la porte de l'auberge pour se plonger dans la chaude ambiance et manger un ragout de péco, la spécialité de la maison.

Elisa marchait rapidement en direction de la bibliothèque, percevant à peine le froid qui pourtant mordait ses joues...On lui avait appris à contrôler ses sensations au monastère.
Elle pouvait ainsi combattre avec autant de force et de concentration lorsqu'elle allait bien et lorsqu'elle était blessée.
Elle se pressait néanmoins car elle devait y trouver ibn nuglu : le plus grand sorcier jamais connu et qui se trouvait aussi être son compagnon d'arme ; un Sacré de longue date.
Il était d'ailleurs pour beaucoup dans la renommée de la guilde, surtout à Geffen, cette ville spécialisée dans la magie.

Elisa sourit en pensant à la façon dont MooF, un jeune sorcier voulant les rejoindre, était venu se présenter à la guilde.
Il avait déclaré vouloir ressembler "au grand ibn", qu'il avait même comparé au Seigneur. *La fougue de la jeunesse*
Mais il était vrai que ibn nuglu possédait une puissance incroyable qui étonnait les ennemis lors de la première rencontre et les terrifiait par la suite.
De nombreuses légendes circulaient d'ailleurs sur son compte : contrats passés avec le Malin ou potion aux pouvoirs fantastiques, rien n'était épargné.
Elisa soupira...*S'il ne passait pas tout ce temps à compter fleurette aux jeunes filles, il serait sans doute invincible*

Ibn nuglu n'était donc pas homme a passer inaperçu et c'est avec facilité qu'Elisa avait appris qu'il se trouvait à la bibliothèque.
Elle s'engouffra dans le haut batiment, se retrouvant dans un calme tiède qui contrastait avec le froid et le bruit de la rue.
Elle devait lui rendre l'équipement que le sorcier lui avait généreusement prêté en prévision de la guerre. Chaque élément avait été ensorcelé grâce à de puissantes runes et cela lui avait été d'un grand secours dans la bataille.
Elisa s'avança dans le hall, espérant vaguement qu'en ce lieu ibn nuglu n'oserait pas lui donner la petite tape sur la fesse qu'il se permettait à chaque rencontre.

Le spectacle de la bibliothèque était impressionnant pour qui n'était pas habitué. Et Elisa, qui y pénètrait pour la première fois, resta éblouie.
Sur sa gauche, des rangées de livres lourdement reliés paraissaient ne jamais finir. Leurs belles couleurs attiraient l'oeil, qui ne savait pas où se fixer...chacun ne pouvait qu'admirer simplement toute cette beauté grandiose. Plus loin de nombreux sages et sorciers étaient penchés sur leurs études, avec calme et sérieux ; les uns à la lumière d'énormes chandelles, d'autres ayant fait apparaitre une boule de feu. Seuls les plus expérimentés avaient le droit de les utiliser ici, la bibliothèque pouvant sinon partir en fumée en un clin d'oeil.

Elisa fut à peine étonnée de voir son ami non pas penché sur un livre, mais sur une jeune aide replaçant les livres dans les rayonnages.
Préférant ne pas le déranger dans ses occupations, Elisa choisit de faire le tour de ce lieu magnifique. Elle avait toujours aimé et admiré les écrits. Elle même ne pouvait lire qu'en articulant les mots et en les suivant avec son doigt mais c'était encore bien plus que la plupart des gens et elle était contente d'avoir cette science. Elle passa sa main amoureusement sur les tranches ornées de lettres dorées. Elle imaginait les merveilles que ces livres renfermaient car elle avait vu son compagnon déclencher des tempêtes d'un seul geste.

Elle n'osait pas s'en saisir, se sentant déjà un peu fautive de troubler les lieux : elle savait qu'elle n'avait pas sa place ici, n'étant pas magicienne.
Elle regardait donc simplement les rayonnages, faisant défiler tous ces livres devant ses yeux. Elle s'arrêta finalement devant un petit livre marron, presque invisible parmi tous ces grands livres...Sa curiosité fut plus forte que sa timidité, elle le prit pour aller s'asseoir dans un recoin de la bibliothèque.
Elle fit apparaitre des boules d'énergie pour l'éclairer et déchiffra le titre : "Légendes magiques, par Balthazar".
Elle ouvrit ensuite le livre avec précaution, il lui paraissait ancien et elle avait peur de l'abimer.

"Au cours de mes nombreux voyages à travers le royaume j'ai pu découvrir que le monde magique passionnait la foule et était à l'origine de légendes plus ou moins abracadabrantes.
Ma préfèrée est celle du grand cafard d'or par son originalité et sa drôlerie.
En recroisant les informations que j'ai obtenues des villageois de Prontera il semblerait que cette créature ait tout l'air d'un insecte monstrueux et se terrait dans les égouts de la capitale. Sa particularité serait qu'elle renfermerait un secret fantastique : elle permettrait d'être totalement immunisé contre tous les sorts possibles et imaginables.
Le lecteur s'apercevra du fait que celui qui possèderait ce pouvoir serait presque tout puissant, nécessitant peut être l'appui d'un prêtre mais guère plus...
Je me suis moi même aventuré dans ces égouts, par simple curiosité ; je n'y ai pas aperçu cette bête. J'en conclu que cette histoire a amplement mérité sa place dans ce livre et que l'imagination des villageois quant à ce qui se passe sous leurs pieds est extrèmement fertile..."

Lorsqu'elle releva les yeux, Elisa croisa le regard d'un homme visiblement concentré sur son visage. Elle eut le rouge qui lui monta aux joues et se releva prestemment, laissant le livre sur place.
*Comment ai je pu oser prendre ce livre, je n'ai rien à faire ici*
Elle marcha rapidement vers la sortie, la tête baissée, sans même penser à ibn nuglu, qui ne l'avait de toute manière pas aperçue...
L'homme qui dévisageait Elisa quelques instants plus tôt se dirigea à l'endroit qu'elle venait de quitter, ramassa le livre et le glissa sous son manteau.
Il quitta ensuite la bibliothèque un sourire satisfait aux lèvres.